DISCIPLINES
Poésie du sabre, et danses de guerriers
Les arts d’Orient exercent aujourd’hui une puissante fascination sur nos imaginaires. Il est vrai que depuis plus d’un siècle toutes nos formes d’arts contemporains ont connu un renouvellement d’inspiration puissant grâce à la découverte de possibilités, de puissances, de libertés nouvelles venues d’Orient. Sans doute le nimbe de mystère entourant nécessairement des formes d’art si difficiles d’accès, parce que si souvent différentes, et liées à des codes que nous ignorons, participe-t-il aussi efficacement de ce pouvoir d’attraction, qui se double ainsi d’un irrésistible désir de mieux connaître.
Or nous savons des choses, confusément. Nous avons entendu dire que là-bas, les arts sont unis : qu’une même science les innerve et les sous-tend,ce qui bien sûr nous fait songer à nos savants-artistes de la Renaissance et d’avant : hommes accomplis et complets, dont l’existence, paraît-il, ne serait plus possible aujourd’hui, du fait de nos sur-spécialisations.
Peut-être avons-nous aussi entendu qu’un éventail de Nô se manie comme un sabre, et que d’ailleurs ce théâtre-là était joué par des Samouraï,c’est à dire par des seigneurs guerriers, et que ces guerriers qui faisaient du théâtre jouaient même des rôles de femmes.
Et peut-être cela nous rappelle-t-il que ce que nous appelons danse baroque a été il y a trois siècles un exercice d’hommes dansant pendant l’hiver, en attendant que revienne la saison des combats – à moins que ce que nous avons compris de la danse de cour ne nous ramène qu’à l’esthétisme languide et énervé des nostalgies d’un temps inutilement révolu ; mais après tout, que savons-nous, nous que Nietzsche aurait traités d’Occidentaux décadents,de la théâtralité que doit déployer face à sa vie vraiment mise en jeu,l’homme qui vraiment combat ? Néanmoins, il est plus que probable que le Nô et le sabre, plus ou moins consciemment, nous ramènent à quelque conscience fondamentale d’identités profondes que nous portons, et auxquelles nous aspirons sans doute.
Masato Matsuura, maître de Nô et de sabre, et plus encore peut-être, grand artiste, grâce aux expériences inlassables, à toutes les explorations auxquelles il s’est livré va pouvoir projeter pour nous un peu d’éclaircissement sur ce que sont vraiment ces arts profonds et subtils, mais aussi puissamment concrets. Arts du geste et de la concentration de l’esprit, où le sabre devient fluide, où la danse de femme la plus dépouillée est nue et pure comme une lame : sabre de vie ou danses suspendues comme flammes entre la terre et le ciel.